Event 4 : Ecriture

Une liberté fielleuse


Meawen marchait rapidement, une pièce bien froide au creux de sa main serrée. Elle réfléchissait en espérant ses futurs jours plus heureux. Les battements de son cœur s’emportaient, son souffle était court, elle se déplaçait si vite et mécaniquement qu’elle ne portait plus aucune attention aux paysages qu’elle croisait.

Croyait-elle vraiment les paroles de ce vieil homme? La sagesse avait beau se cacher sous tous les traits, même les plus laids et les plus fous, ne se rendait-elle pas ridiculement crédule en agissant ainsi?
Malgré tous ses efforts, impossible de cesser de croire en l’existence possible d’un tel lieu. Elle désirait bien trop ardemment pouvoir ainsi accéder à la plus désirable des réalités.
Tout ce qu’elle avait vu ces derniers temps la confortait dans l’espoir que ce qu’elle s’apprêtait à faire pourrait fonctionner. C’est donc avec tout son bon vouloir et librement qu’elle se dirigeait vers cette probable croisée de sa destinée.

Si cette légende se révélait vraie, sa vie changerait du tout au tout pour ne plus jamais redevenir la même : Meawen s’enthousiasmait à cette idée.

Qu’allait-elle bien pouvoir demander? Voilà la question qui occupait entièrement son esprit, l’empêchant de rester consciente de quoi que ce soit d’autre.
Ses pensées arrivaient au galop, se succédaient, s’entrecroisaient, se pressaient et s’exclamaient afin d’être remarquées. L’excitation trop grande l’empêchait de respirer, de se calmer. Elle en avait le tournis, son crâne élançait; faiblissant elle allait s’évanouir…

Elle arrêta un instant son périple, sa quête, afin de mettre un peu d’ordre dans ses projets. Désirant se concentrer pour persévérer dans son intention, sans subir tous les désagréments du doute, des questionnements et de l’anticipation. Il lui fallait déterminer quelle était sa motivation la plus profonde dans le but de se rendre à ce supposé Puits à souhaits.

La vie éternelle peut-être, afin de tout expérimenter, de ne plus craindre les dangers ou de regretter le passé .Grâce à cette aspiration, le futur saurait tout effacer ce qui aurait été malaisé pour proposer de nouvelles possibilités.

Ou alors la richesse ultime, ne plus appréhender le manque, profiter de chaque instant sans penser aux contraintes matérielles, sans conserver pour les lendemains. Consommer tous les objets d’envie, de plaisir; ne plus compter, se faire accepter partout, ‘’aimer’’ de tous.

Sinon, la beauté fatale semblait possible, l’attirant obsessionnellement. Être adulée, complimentée, choyée et gâtée sans n’avoir rien à faire, aucun geste à poser. Toutes les portes ouvertes, telle une Précieuse servie, sans critique, sans contraintes. N’était-ce le rêve de toutes d’être parfaite?

Ou encore le savoir intemporel, qu’il était attrayant. Ne plus jamais rien ignorer, cesser de se questionner, pouvoir tous les aider. Le passé, le présent, le futur, chacun dévoilés. À l’image d’un dieu ambulant, partout ses services seraient nécessités, elle serait demandée, et saurait quoi faire.

Comment pourrait-elle se décider? Les choix étaient bien trop multiples et tous excellents.

Elle continua son chemin, encore plus excitée qu’auparavant.
Son esprit jonglait avec ces potentiels futurs, les adorait, tentant de discerner le plus profitable. Quelle difficile tâche que de choisir, profond dilemme, car l’un empêchait les autres. Une seule pièce, une seule demande, pour un seul aspect; telle était la règle.

Finalement, les indications prenaient fin, elle l’apercevrait incessamment. Les yeux encore émerveillés, elle se précipitait vers lui.
Il se trouvait là…à quelques pas devant elle. Souhaitait-elle toujours en profiter? Elle en doutait pour la première fois depuis qu’elle en avait apprit l’existence. Réussirait-elle à en assumer les effets irrémédiables? Quelques pas incertains l’en approchèrent, examinant les pierres, elle y remarqua de longues trainées rougeâtres sèches. Un haut le cœur l’obligea à se détourner. Encore hésitante, elle contempla ce puits des futurs, si elle ne tentait pas sa chance le regretterait-elle? Pour quelles autres raisons que l’essayer afin d’en retirer de merveilleux avantages, s’était-elle empressée de parcourir toute cette distance?

Dans ce contexte beaucoup plus réel que ses fabulations utopiques, les pieds de sa conscience et de sa logique retouchaient terre. Quelles implications découleraient de l’utilisation de cette pièce offerte par un étrange vieillard au regard bien trop insistant?

Elle repensa alors à ses éventuels vœux d’une manière plus critique.

Demeurer pour l’éternité, jeunesse conservée et expériences gagnées pour ne plus craindre les finalités. Voir disparaitre tout ce que l’on a aimé, changer tout ce que l’on a connu, continuellement s’adapter, s’éduquer et se renouveler pour être encore apprécié et demeurer digne du respect de nos amitiés constamment à recréer.
Serait-ce réellement ce qu’elle avait imaginé?

Tout posséder, sans aucun effort à débourser, s’aliéner jusqu’à ne plus apprécier ce qui fut gagné par ce qui fut produit. Perdre le sens de sa vie n’ayant plus de but aussitôt nos rêves exaucés. Provoquer l’envie, la jalousie jusqu’à ce que la mort nous ait entièrement dépouillés.
Était-ce réellement ce qu’elle avait désiré?

Devenir la plus sublime des splendeurs lui assurerait-il vraiment d’être respectée? Bouche-bé, tous ne chercheraient-ils pas plutôt à profiter de ses charmes, à jalousement se l’approprier, détestant tout autre pouvant l’apprécier. À la mort une fois encore cela pourrait la mener : par un amant jaloux ne voulant pas la partager ou une rivale haineuse désirant la surclasser.
Vivrait-elle réellement ce qu’elle avait espéré?

Avec le savoir, elle pourrait les aider. Mais perçue comme pédante elle serait rejetée. Incomprise de tous elle ne saurait les toucher ou s’en approcher. Bien sur que les rois sont respectés, mais par la peur plus que l’amitié.
Pire encore, si le futur lui était révélé, une vie d’horreurs, à quoi bon exister! Autant immédiatement abandonner afin de ne pas désespérer à s’angoisser pour demain, sans profiter du maintenant.
Un géni seul, isolé, ne pouvant partager ses connaissances, n’attendant plus que sa mort. C’était ce qu’elle deviendrait en exauçant ce souhait.
Atteindrait-elle réellement ce qu’elle avait souhaité?

À ces pensées elle éclata en larme, la vie était tellement plus froide que ce à quoi elle avait rêvé. Aucun bonheur ne semblait assuré, les douleurs constamment seraient à tolérer. Elle constata que les extrêmes sont plus à craindre qu’à rechercher. Tant qu’à changer sa vie pour subir les inconvénients d’une existence déterminée, autant apprendre à se complaire dans sa propre réalité.

Meawen tourna vivement les talons et partie en direction inverse aussi rapidement qu’elle était arrivée. Une fois de retour dans son modique confort, elle perça la pièce magique, l’enfila sur un collier qu’elle décida de porter pour le reste de ses jours. Ainsi apprécierait-elle doublement ce qui lui arriverait.
Elle se plaisait également à penser qu’ainsi une âme avait été sauvée, l’ayant empêchée de demander la réalisation d’un souhait futurement regretté.

Elle avait ainsi constaté que la façon dont nous savons le mieux vivre est bien celle dictée par notre destin. À croire que ce dernier ait été créé à notre mesure, à notre main. Au moins avons-nous la liberté de nous plaindre de n’avoir rien décidé…


Kyrielle
Octobre 2010